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Importation de poudre, prix des aliments…

Difficile de produire du lait en Afrique de l’Ouest

Publié le 01/06/2022 - 11:19
La traite se fait encore souvent à la main en Afrique de l’Ouest, comme ici au Sénégal. Photo : Antoine Hervé

À l’occasion de la célébration de la Journée mondiale du lait ce 1er juin, l’Association pour la promotion de l'élevage au Sahel et en Savane (Apess) s’associe avec les acteurs de la campagne européenne « N’Exportons Pas Nos Problèmes » pour alerter sur les menaces qui pèsent sur la filière lait local en Afrique de l’Ouest. Filière dont dépendent 48 millions de producteurs et productrices du Sénégal au Nigeria, du Mali à la Côte d’Ivoire.

Depuis plusieurs années, des agro-industriels européens envahissent le marché ouest-africain avec du lait en poudre ré-engraissé avec de la matière grasse végétale (MGV), notamment de l’huile de palme. Ce lait reconstitué est vendu « 30 à 50 % moins cher que le lait produit localement », s’insurge l’Apess. Sans compter que l’Union européenne (UE) exporte des volumes croissants de ce produit à bas coûts et aux « qualités nutritives inférieures à celles du lait », selon le professeur Yvan Larondelle, ingénieur spécialisé dans la qualité nutritionnelle des matières grasses alimentaires à l’Université catholique de Louvain (Belgique).

2,1 milliards d’euros de poudres de lait

En 2020, l’UE a exporté pour 2,1 milliards d’euros de poudres de lait en Afrique de l’Ouest, soit 56 % du total des produits laitiers européens exportés vers ces pays. Cette faible compétitivité du lait local face aux produits importés est « grandement favorisée par une trop large ouverture du marché domestique ouest africain des produits laitiers », expliquent les producteurs locaux.

Pour faire face à cette concurrence et déployer le potentiel de la filière, les acteurs d’Afrique de l’Ouest ont obtenu l’adoption d’une politique qualifiée d’« ambitieuse » par les États ouest-africains et la Cedeao. Cela se traduit, disent-ils, par « de vastes plans d’investissements régionaux et nationaux ». Il est en effet urgent que ces plans soient mis en œuvre et que leur réalisation soit soutenue par la coopération européenne au développement.

Cela d’autant plus que les éleveurs laitiers africains sont particulièrement fragilisés par les questions de sécurité, mais aussi par la guerre en Ukraine et la crise de la Covid-19. Frappés par les conflits et l’insécurité, les éleveurs ne peuvent plus circuler et nourrir leurs troupeaux sereinement, quand ils ne sont pas directement victimes de violence. « La dégradation du contexte sécuritaire au Sahel nuit terriblement aux initiatives économiques des acteurs de la région », poursuit-on à l’Apess. Les mini-laiteries, notamment, sont particulièrement touchées. Pourtant, elles constituent un vaste réseau de collecte et de transformation, proche des communautés agro-pastorales.

« Il nous faut un plan d’urgence pour soutenir les producteurs »

« Depuis plusieurs années, notre mini-laiterie grandissait malgré la concurrence du lait importé et on parvenait à offrir un revenu à des dizaines de familles de pasteurs et de producteurs de lait, explique Ibrahim Diallo, de la laiterie Kossam Yadega, à Ouahigouya au Burkina Faso. Nous avons même lancé la marque Fairefaso. » Malheureusement aujourd’hui, « les effets du changement climatique, de la Covid-19, de l’insécurité et des conflits intercommunautaires nous empêchent de fonctionner, poursuit-il. Nous n’arrivons plus à collecter le lait, ni à rembourser nos crédits. » Et d’avertir : « Il nous faut un plan d’urgence pour nous soutenir et nous permettre de jouer notre rôle dans l’autonomisation des jeunes et des femmes. »

La situation alimentaire en Afrique de l’Ouest est particulièrement préoccupante pour la troisième année d’affilée. Près de 30 millions de personnes nécessitent une assistance immédiate. Cette situation risque de s’aggraver en raison de la hausse mondiale des prix des denrées alimentaires – notamment les céréales à cause de la guerre en Ukraine – et de la persistance des tensions sécuritaires dans la région. « Si des mesures ne sont pas prises, c’est plus de 38 millions de personnes qui pourraient être affectées par la crise alimentaire et nutritionnelle entre juin et août 2022, jusqu’à 40 millions, en incluant le Cameroun, d’après les données officielles.

Zoom
L’appel des producteurs de lait ouest-africains à la Cedeao et à l’UE
En réponse à la grave crise qu’ils traversent, les associations et collectifs de producteurs de lait ouest-africains appellent :
- la Cedeao et les États de la région à « accélérer la mise en œuvre de la stratégie de l’Offensive lait » ;
- la Cedeao et les États de la région à « mettre en place des mécanismes d'appui aux acteurs des filières lait local qui sont confrontés à l’insécurité et à l’inflation des prix ». Et ce, notamment, en « soutenant l’accès à l’alimentation du bétail » et en « déclarant un moratoire sur le remboursement des prêts bancaires » ;
- la Cedeao à « rehausser le niveau du tarif extérieur commun (TEC) lors de sa prochaine révision prévue en 2023 afin de protéger la filière lait local » ;
- l'UE à « soutenir financièrement la mise en place de la stratégie de l’Offensive lait, les plans d’investissements afférents et des mécanismes de soutien rapide aux acteurs de la filière lait local » ;
- l’UE encore à « maintenir ses engagements (Green Deal, F2F) et à éviter que les dispositifs de soutien à ses agriculteurs n’alimentent la concurrence déloyale envers la filière lait local ». Il est question là des subventions publiques accordées aux producteurs européens. Subventions dont ne bénéficient pas les éleveurs africains.

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