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Côte d’Ivoire

La course à l’or blanc

Publié le 31/08/2016 - 11:12
La « boule de 100 FCFA » a vu son volume divisé par trois en six mois. Consommé à hauteur de 30 kg par an et par habitant, l’attiéké n’en finit plus de voir son cours grimper. Photos : C. Martin

Deuxième production vivrière de Côte d’Ivoire, et féculent de base pour les habitants, le manioc fait aujourd’hui les frais de l’engouement des agriculteurs pour l’hévéaculture. Déjà pointée du doigt en 2013, cette situation peut influer sur la sécurité alimentaire du pays.

Au pays du garba, l’attiéké n’est plus roi ! Traditionnellement cultivé en association avec d’autres cultures vivrières, le manioc, une plante arbustive pérenne originaire d’Amérique latine, est à la base d’une vingtaine de préparations culinaires prisées en Côte d’Ivoire. Au milieu des foutous, placalis et autres garis, figure l’attiéké. Cette semoule de manioc fermentée est un aliment de base pour les populations du centre et du sud du pays, notamment dans sa capitale économique, Abidjan.
Sur les marchés et dans les maquis, le constat est le même : le prix de l’attiéké n’en finit plus de grimper. Si le prix de la « boule de 100 FCFA » est resté inchangé, la portion d’attiéké a réduit comme peau de chagrin. Elle n’atteint plus que le tiers du volume qu’elle avait à Noël. Et si l’attiéké reste accessible à tous, « il n’y a plus de quoi nourrir son homme », déplore Amédée, une habituée d’un garbadrome du quartier de Cocody. Et le bilan est identique dans tous les quartiers de la capitale, des plus aisés aux moins bien lotis.
Les centres de transformation du manioc, principalement urbains, sont alimentés par une large bande de production de manioc s’étendant sur toute la partie sud du pays. Les différents attiékés produits à l’échelle nationale ne se valent pas. Pourtant meilleur marché, l’attiéké issu des centres semi-artisanaux et industriels de la capitale administrative Yamoussoukro est réservé aux plats de moindre qualité. Les consommateurs lui préfèrent l’attiéké fabriqué au sud.

Une filière balayée par l’hévéaculture

Le manque de manioc à Abidjan n’est pas sans rappeler l’année 2013. Les experts avaient déjà tiré la sonnette d’alarme. Les soubresauts du cours du caoutchouc, quelques années auparavant, avaient entraîné une conversion massive des agriculteurs à l’hévéaculture, au détriment du manioc.
Si une année particulièrement sèche est actuellement mise en avant par les agriculteurs – avec des conséquences sur les rendements d’autres cultures vivrières comme l’igname ou la banane plantain –, c’est aussi la politique agricole du pays qui est montrée du doigt. « La sécheresse sert trop souvent de justification au manque de manioc sur les marchés, là où les politiques d’encadrement de l’hévéaculture et des techniques de production inappropriées sont véritablement à incriminer », souligne Hgaza Kouame, chercheur au centre suisse de recherches scientifiques à Abidjan.
Différents facteurs sont à examiner pour expliquer cette pénurie concentrée sur Abidjan et sa région. Encadrée par les services de vulgarisation agricole, l’installation des plantations d’hévéas a été largement encouragée à l’échelle nationale. Cette culture assure des revenus quasi journaliers aux planteurs. Entrant en production au bout de six à sept ans, les hévéas peuvent, durant cette période, être associés à des cultures vivrières, exception faite du manioc dont les effets dépréciatifs sur la croissance des arbres ont été largement illustrés. Communication faite aux agriculteurs, cette spécificité a contribué à faire disparaître le manioc de ses bassins traditionnels de production, contrairement à l’igname ou au maïs, toujours largement cultivés par les agriculteurs.

Hévéa-manioc : un tandem gagnant ?

Dans les parcelles de manioc restantes, l’absence de techniques de production modernes a amplement contribué à rendre la filière manioc peu compétitive face à l’hévéaculture : les rendements sont trop faibles, il y a un manque de mécanisation de la récolte. C’est particulièrement perceptible dans une période de raréfaction de la main-d’œuvre agricole. On note aussi une pression parasitaire élevée et du matériel végétal peu performant.
Conjointement à cette baisse de la production, la demande sous-régionale pour le manioc ivoirien a augmenté. Elle vient en particulier du Mali et du Burkina Faso. Ces deux pays catalysent la production des régions de production les plus septentrionales de la Côte d’Ivoire. Le manioc y est exporté principalement sous forme de pâte, avec une valeur marchande supérieure à celle des produits réservés au marché national. « Le manioc est donc plus dur à gagner (Ndlr : à acheter) pour Abidjan », conclut-on dans le quartier de Blockhauss.
Reste que plusieurs facteurs incitent à l’optimisme. « La disponibilité devrait être garantie d’ici deux à trois ans », explique Kouame. Les planteurs sont dorénavant incités à associer le manioc aux hévéas immatures au même titre que les autres cultures vivrières, sous réserve que des précautions strictes en matière de densité de plantation et de surveillance sanitaire soient bien suivies par le planteur. Ce changement de pratiques s’est déjà traduit sur le terrain par l’éclosion de très nombreuses petites unités de transformation dans tout le sud du pays. On note aussi un effort de recherche en faveur de la mécanisation des récoltes. Reste à savoir si la chute continue des cours de l’hévéa et la hausse du prix du manioc auront raison de cette course à l’« or blanc », et qui sait, feront renaître la culture du manioc en Côte d’Ivoire…
 

De 80 000 à 400 000 FCFA la tonne : des prix qui explosent

La camionnette bâchée est l’unité d’achat la plus courante des tubercules de manioc et d’igname. Méticuleusement remplis, ces vé
L’attiéké est un produit fragile. Il doit être consommé dans les jours suivant sa préparation. Cela limite sa capacité d’acheminement sur des routes souvent en piteux état. Une partie de l’attiéké d’Abidjan est confectionnée sur place, notamment dans l’emblématique quartier lagunaire de Blockhauss. Celui-ci baigne jour et nuit dans des effluves écœurants d’attiéké en cuisson. Ses unités de transformation, artisanales et exclusivement féminines, fonctionnent en flux tendu. Là, le tarif des tubercules a explosé. Le prix de la « bâchée », cette camionnette qui peut charger environ une tonne de manioc, est passé de 80 000 à 400 000 FCFA, soit une augmentation de 12 à 60 centimes d’euro le kilo en l’espace de six mois.

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