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Au Bénin

Chez les maraîchers de Sèmè-Kpodji

Publié le 08/09/2016 - 10:18
Chez les maraîchers de Sèmè-Kpodji au Bénin. Arrosage mécanique d’un semis de choux.

Au Bénin, les activités agricoles contribuent à juguler le chômage. Les autorités l’ont bien compris. Elles ont octroyé quatre-vingt hectares à 240 maraîchers et maraîchères dans la petite ville de Sèmè-Kpodji, à seize kilomètres de Cotonou. Reportage chez ces forçats de l’arrosage et de la culture du choux et autres grandes morelles.

 

Situé à seize kilomètres de Cotonou, la capitale du Bénin, la commune de Sèmè-Kpodji s’illustre par de denses activités maraîchères. Un domaine d’environ 80 hectares, octroyé par le gouvernement, encadré par la voie internationale Cotonou-Kraké et la mer, abrite, depuis plus de dix ans, le village maraîcher de Sèmè-Kpodji (Vimas). Cette cité grouille d’activités. 240 personnes - 180 hommes et 60 femmes - s’activent à plein-temps pour tirer leur pitance d’un sol sablonneux, peu riche en matières organiques.

Le chou, un légume roi à Sèmè-Kpodji
Plusieurs spéculations sont identifiables. D’une part, des cultures traditionnelles de plein champ : tomates, piments, oignons, gombos, légumes feuilles… ; d’autre part, des cultures exotiques : carotte, chou, laitue, concombre, betterave, plantes aromatiques ou haricot vert. Chaque actif occupe un espace allant de 1/8 à 2 ha en fonction de ses capacités. « Pour s’installer, il suffit de payer un droit d’adhésion de 25 000 F Cfa (38 €) à l’association du village », explique Benoît Amoussou, le trésorier.

 

Luc assiste d’autres maraîchers

Luc Afodoté arrose une parcelle  de betteraves.
Diverses raisons conditionnent ces Béninois à choisir le métier de paysan. Le courage, l’endurance, la motivation sont des prérequis. Il faut aussi un peu de moyens pour le décollage.

À 32 ans, Luc Afodoté a déjà 15 années d’expérience en matière de maraîchage. « J’ai été très tôt confronté aux dures réalités de la vie, confie-t-il. à un moment de ma scolarité, mes géniteurs, peu fortunés, n’arrivaient plus à répondre à mes besoins. Contraint d’abandonner l’école, j’ai été confié à l’un de mes beaux-frères. Il était maraîcher à Cotonou. C’est avec lui que j’ai effectué mes premiers pas dans le métier. »

Ils n’attendent que l’eau et le porteur…
En parallèle, Luc assiste d’autres maraîchers professionnels, moyennant une petite rémunération. « J’ai pu me constituer une économie de 200 000 F CFA, qui m’a servi de fonds de démarrage en 2007. ». à l’aide de cette épargne, Luc s’est acquitté de son droit d’adhésion, a réalisé un forage, acquis une motopompe, des raccords, des semences, des intrants et le matériel de travail nécessaire (houe, râteau, coupe-coupe, binette, traceur, arrosoir, pulvérisateur…). « J’ai démarré sur 1/8 d’ha, dit-il. Année après année, j’ai agrandi mon domaine. Présentement, j’occupe 1,5 ha ».

 

« Une activité rentable »

Et toujours l’arrosage…
Aujourd’hui marié et père de 2 enfants, Luc ne regrette pas ce travail qui l’occupe à plein-temps et qui est pour lui « toute sa vie ». « Il n’y a pas de sous-métier », répète-t-il. Grâce à ses efforts, il parvient à satisfaire ses besoins quotidiens, ceux de son foyer et à soutenir ses deux ascendants affaiblis par la vieillesse. Par ailleurs, il réalise de substantielles économies, afin de « mieux se réaliser et contrer les imprévus ». 

La soixantaine, Christophe Gokpon est inscrit à Sèmè depuis 12 ans. Après avoir abandonné son premier métier de sténodactylographe, qui ne lui permettait plus de vivre, il s’est tourné vers le maraîchage. Sur un domaine d’un demi-hectare, Christophe produit, entouré de sa femme et de ses nombreux enfants, des amarantes, grandes basiliques et grandes morelles, du piment, des concombres…. « Le maraîchage est une activité rentable, dit-il. Grâce à lui, j’ai pu scolariser mes enfants, acheter une parcelle et construire ma maison à Cotonou ».

Il faut parfois se débrouiller avec les moyens du bord, comme avec cette motopompe.
Brice Ganhoué est assez jeune. Aussi bien en âge que dans la pratique agricole. La vingtaine, Brice a été scolarisé jusqu’en 4e du cours secondaire. Après avoir abandonné l’école en 2013, il entreprend l’apprentissage en cuisine. C’est à ce moment qu’il a vent du projet « Apretestra », qui s’occupe de la formation des jeunes en agriculture. La formation a eu lieu à Sèmè. « Là, explique-t-il, j’ai été initié aux itinéraires techniques du maraîchage, la confection et l’entretien des planches, la mise en place des pépinières, l’utilisation des machines pour arroser. »

 

Avec de la persévérance on réussit

Le pulvérisateur à main est souvent utilisé  pour traiter les récoltes.
Après quelques mois en tant qu’ouvrier, Brice se met à son propre compte. « Mes premières économies sont investies dans la terre, pour la réalisation et l’entretien de mon potager », révèle-t-il. En quelques mois, Brice a déjà à son actif une petite cabane, une moto et une économie de 500 000 F CFA (762 €) : « C’est un travail dur. Mais, avec courage et persévérance, on réussit ! »

Le matériel de base du maraîcher.
Le doyen Gokpon a, quant à lui, le sentiment que la corporation est oubliée, voire marginalisée par les autorités. Il en appelle à l’assistance du pouvoir qui, selon ses dires a « beaucoup promis, mais rien donné ». 

Marie Mitokpè dans son champ  de grandes morelles.
Le maraîchage représente une source importante d’emplois et de revenus pour les populations du Bénin. Il mérite d’être pris en compte par les décideurs, pour son progrès et sa meilleure rentabilité. Le site de Sèmè, reste et demeure une propriété de l’État et non des producteurs. Ceux-ci peuvent être dessaisis à tout moment. C’est pourquoi, conscient de cela, Luc Afodé projette l’achat d’au moins un hectare de terre fertile, doté d’un système permanent d’approvisionnement en eau. « La culture maraîchère est gourmande en eau, dit-il. Et, sans eau, on ne saurait parler de maraîchage ». 

 

Fida/État : un plan d’aide pour le maraîchage
L’État béninois et le Fida travaillent ensemble pour développer le maraîchage, créer des emplois et renforcer la sécurité alimentaire dans le pays.
La République du Bénin et le Fonds international de développement agricole des Nations unies (Fida) ont signé, début février, un accord pour financer le Projet d’appui au développement du maraîchage (Padmar). Cette initiative devrait permettre de créer environ 3 000 nouveaux emplois, en particulier pour les jeunes et d’améliorer la sécurité alimentaire dans 27 communes du sud du pays. Le coût total du projet est estimé à 49,2 millions d’USD. Le financement comprend un prêt de 23,5 millions d’USD, et deux dons de 0,5 et 4,5 millions d’USD du Programme d’adaptation de l’agriculture paysanne du Fida (Asap). La contribution du gouvernement béninois est de 4,8 millions d’USD, à laquelle s’ajoute la contribution des bénéficiaires à hauteur de 3,9 million d’USD. Le gouvernement du Bénin est à la recherche de cofinancement complémentaire d’un montant de 12 millions d’USD auprès d’autres bailleurs de fonds.
Les activités du nouveau projet vont aider à booster les revenus des producteurs maraîchers tout en renforçant leur résilience face aux effets du changement climatique. Le projet renforcera la capacité de tous les acteurs impliqués dans la production, la transformation et la commercialisation des produits maraîchers. Il élaborera également des outils pour aider les producteurs à obtenir des informations sur les marchés maraîchers; de fournir des services de vulgarisation aux exploitants et de créer des emplois pour les jeunes.
En outre, le projet appuiera la restauration et/ ou la construction des infrastructures pour le regroupement, le conditionnement et le stockage temporaire des produits maraîchers et des intrants. Plus de 120 km de pistes rurales seront réparées pour faciliter l’accès aux zones de production maraîchère.
« Le maraîchage peut être une très bonne opportunité pour créer de nouveaux emplois, estime Luyaku Nsimpasi, chargé de programme de pays pour le Bénin. Le marché des produits maraîchers existe au Bénin et ailleurs dans la sous-région, en particulier au Nigeria. »
Plus spécifiquement, le projet permettra de promouvoir l’adoption de technologies et de techniques modernes pour améliorer la productivité des produits maraîchers.
Le Padmar sera exécuté sous la tutelle du ministère de l’Agriculture et devrait toucher 17 000 ménages maraîchers exploitants des petites superficies d’un huitième d’hectare.
Antoine Hervé

 

Zoom : engrais chimiques ou naturels ?
Pour avoir un bon rendement, les maraîchers ont coutume de recourir à des fertilisants chimiques. Par ailleurs, ils font usage de pesticides chimiques pour lutter contre les maladies et les ravageurs. Les doses appliquées ne sont pas toujours conformes aux normes prescrites. Dans une étude récente réalisée au Bénin sur l’usage des pesticides, bon nombre de maraîchers estiment que les produits phytosanitaires sont d’une nécessité incontournable pour le maintien de la productivité. Quand bien même ils savent que, même à doses recommandées, ces produits peuvent causer des dommages à l’environnement, à la nappe phréatique, aux utilisateurs et aux consommateurs, les maraîchers estiment que les pesticides chimiques « agissent de façon rapide, ont un large spectre d’action - tuent tous les ravageurs - et sont disponibles à tout instant ». Les maraîchers n’ignorent pas non plus les avantages des intrants naturels, tels le compost, les insecticides issus des extraits de plantes (neem, papayer, tabac, piment…), ou les bio-pesticides. Mais très peu y recourent à cause des difficultés liées à leur préparation, de leur non-disponibilité, d’une action lente, peu pratique sur de grandes superficies, leurs spécifiques aux ravageurs, la non-maîtrise de la technique de préparation, l’incertitude sur la durée d’efficacité ou encore leur coût élevé.

 

Accès à l’eau, conseils techniques, manque de crédits et de moyens de conservation… Les atouts et contraintes de Sèmè-Kpodji
à en croire les maraîchers, le site de Sèmè présente des atouts encourageants telle la relative facilité d’avoir une eau, d’assez bonne qualité : la nappe phréatique est à moins de 10 mètres. Aussi, l’arrosage est mécanisé et se fait à l’aide de tourniquets ou de raccords. L’accès facile au site par les usagers, les conseils agricoles prodigués par les agents vulgarisateurs du Centre régional de promotion agricole (Cerpa) et quelques organisations non gouvernementales (ONG) sont d’autres atouts. Ainsi que la proximité de grands centres tels Cotonou, Porto-Novo, et le Nigeria voisin pour l’écoulement des produits. Le voisinage d’un énorme marché à bétail facilite aussi l’approvisionnement en fientes, utilisées comme engrais en complément des engrais chimiques plus chers. « Par contre, dit-il, l’accès à la terre est plus ou moins aisé en tant que producteur. » En dépit des avantages précités, les maraîchers de Sèmè évoquent quelques contraintes qui entravent leur plein épanouissement. Ils citent pêle-mêle, la mévente en cas d’excès de produits sur le marché, l’absence de moyens de conservation et de transformation de la production, la rareté et la cherté de la main-d’œuvre, l’utilisation de semences de mauvaise qualité et l’insuffisance de variétés adaptées aux conditions agro-écologiques. Viennent ensuite, les difficultés d’approvisionnement en intrants, la pression parasitaire très importante, l’accès difficile aux matériels appropriés, la maîtrise partielle des techniques culturales, particulièrement la préparation des sols, la fertilisation et la lutte contre les principaux ravageurs. À tout ceci, s’ajoutent l’insuffisance, voire l’inexistence de crédit et le faible niveau d’organisation des acteurs de la filière.

Guy Christian Roko (texte et photos)

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