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Bénin

L’épineux problème de la transhumance des ruminants

Publié le 21/10/2022 - 15:35
Pendant la période sèche, la grande transhumance engage des déplacements qui vont bien au-delà des frontières du pays. Photo  : G. C. Roko

Au Bénin, les multiples dégâts humains et matériels occasionnés lors des déplacements des animaux ont amené les autorités à encourager la sédentarisation des éleveurs. Une idée pas toujours bien respectée. Explications.

La transhumance, c’est ce mode d’élevage qui consiste à déplacer les troupeaux de ruminants, de façon cyclique, à la recherche des ressources pastorales, essentiellement l’eau et le fourrage, avec l’option d’un repli sur le territoire d’attache. Mais d’autres raisons, culturelles ou liées à la santé des animaux, peuvent aussi justifier le déplacement des animaux.

Deux formes de transhumance

Toutefois, les formes de transhumance divergent selon l’amplitude des mouvements. Il y a la petite transhumance, qui s’observe à l’intérieur du pays, pendant les saisons des pluies, lorsque l’éleveur fait de petits déplacements à l’échelle du terroir auquel il est déjà habitué. Et la grande transhumance, qui s’observe pendant la saison sèche. Cette dernière peut prendre la forme transfrontalière, quand elle engage les déplacements, au-delà des frontières du pays. C’est souvent le cas des passages des troupeaux venant des pays sahéliens – Niger, Burkina Faso, Mali, parfois Tchad -, vers les pays côtiers comme le Bénin.

Il s’agit aussi de grande transhumance quand un éleveur est, par exemple, à Mallanville, au nord du Bénin, et qu’il se retrouve, quelques jours après, à la hauteur de Dassa, au centre du pays, car ce mouvement brasse plusieurs départements et plusieurs communes. Cette traversée se fait sur des pistes ou des zones de passage qui ne sont pas toujours respectées par les pasteurs. Les distances parcourues sont de plusieurs centaines de kilomètres. Ce type de transhumance concerne surtout les bovins qui ont un besoin en quantité et en qualité de fourrages plus important que les caprins ou les ovins. Si les statistiques sont muettes au sujet du nombre de bœufs qui traversent chaque année le Bénin, des personnes ressources parlent de plusieurs milliers d’animaux.

La transhumance transfrontalière s’est développée depuis les années 1970 avec la croissance démographique dans le Sahel et la crise de l’élevage qui s’en est suivie. Elle s’est accentuée sous l’effet des changements climatiques observés dans la sous-région. 

De plus, les avancées de la médecine vétérinaire et l’arrivée de grands propriétaires ont engendré une augmentation du cheptel. L’ensemble de ces éléments contraignent les pasteurs à effectuer des déplacements cycliques sur les terres agricoles et agropastorales éloignées pour satisfaire leur bétail. 

Ce mode d’élevage engendre de plus en plus de conflits entre les agriculteurs des pays d’accueil ou de transit, comme le Bénin, et les éleveurs transhumants des pays sahéliens, à cause de la pression sur les ressources naturelles.

Ces conflits surviennent le plus souvent quand les éleveurs sont surpris en flagrant délit de dégradation de biens. Les dégâts enregistrés sont généralement d’ordres matériel (destruction des habitations, des champs, blessures ou abattage des animaux…) et humain (morts d’hommes et blessures graves). 

Zéro mort par campagne de transhumance

En raison des dégâts cumulés au fil des années, la transhumance a fini par constituer un gros souci pour les Béninois en général et leurs dirigeants en particulier. De multiples efforts ont été entrepris par les gouvernants successifs afin d’atteindre l’objectif « zéro mort par campagne de transhumance ». Mais cet objectif n’a jamais pu être atteint.

Reste que le gouvernement s’intéresse depuis plusieurs années à cette problématique. En décembre 2017, il a revu la carte pastorale du pays, en interdisant aux troupeaux de bœufs en transhumance vers le sud, de franchir la barrière de Dassa. Au-dessus de Dassa, le Bénin dispose de 80 % de terres, où n’est installée que 20 % de sa population. En dessous, le pays abrite 80 % de sa population, installée sur une portion de 20 % de terres.

Ligne rouge franchie

Joseph Wolou Olawolé, ingénieur développement en charge de la transhumance et de la gestion des ressources pastorales à la direction de l’Élevage du Bénin. Photo : G. C. Roko
Pour les experts béninois en pastoralisme, le Bénin dispose d’assez d’espace au-dessus de Dassa pour la transhumance. Par ailleurs, ces experts maîtrisent les zones résiduelles de conflits inhérents aux mouvements des gros ruminants. « Dans le sud du Bénin, il y a des zones où l’occupation de l’espace est telle qu’on ne peut plus continuer à y envoyer des troupeaux de bœufs, explique Joseph Wolou Olawolé, ingénieur du développement rural, en charge des questions relatives à la transhumance et à la gestion des ressources pastorales à la direction de l’Élevage. Aujourd’hui, avec la croissance de la population, la rareté des terres cultivables et le souci de diversification des cultures, des zones anciennement parcourues par les éleveurs ne peuvent plus continuer à être comptabilisées, comme des zones pastorales. »

L’exemple palpable est celui de la vallée de l’Ouémé, une immense zone de productions agricoles au sud-est du pays. Avec les crues et les décrues du fleuve Ouémé, les paysans n’ont plus que la période des saisons sèches pour mettre en place leurs cultures, en contre-saison, en raison de l’impraticabilité des sols pendant les périodes hivernales. Si, par le passé, des cortèges de bœufs pouvaient traverser allègrement les communes situées dans la vallée de l’Ouémé (Adjohoun, Dangbo, Bonou…), aujourd’hui, en raison des contraintes des calendriers culturaux notamment, il n’est plus possible de continuer ainsi.

En 2017, le gouvernement béninois a estimé qu’il fallait faire en sorte que certaines parties du pays soient essentiellement consacrées à l’élevage des gros ruminants. Ceci afin de libérer d’autres zones, objets de conflits récurrents. Il s’agit là, d’une première tentative de règlement des conflits entre éleveurs transhumants et producteurs.

En dépit de ce découpage, les résultats de la campagne de transhumance de l’année 2018, n’ont pas été élogieux. Les prétentions du gouvernement à savoir, « zéro conflit, zéro perte en vie humaine », n’ont pas été atteintes. Bien au contraire, les éleveurs ont traversé la ligne rouge établie par le gouvernement à Dassa, occasionnant des dégâts matériels et des pertes humaines dans les régions comme Zagnanado, Ouinhi ou Covè.

Cette décision d’interdire le franchissement de Dassa a par ailleurs engendré une forte confusion : les producteurs du sud ne sont pas parvenus à faire la distinction entre les bouviers transhumants béninois et ceux venant de l’étranger, refoulant ainsi, sans distinction, tous les troupeaux de ruminants. Suite à ces incidents malheureux, le gouvernement a décidé, fin 2019, d’interdire l’entrée au Bénin des transhumants étrangers. Estimant qu’un État responsable ne peut continuer de voir mourir ses citoyens, les autorités ont décidé qu’il était temps de régler le problème. « Cette disposition d’interdiction de la transhumance prise par le gouvernement béninois n’est pas une mesure de haine, explique un cadre du ministère de l’Agriculture et de l’Élevage. Elle n’est orientée contre personne et vise à trouver des solutions aux causes internes d’un problème qui prend de l’ampleur. »

Suite à cette interdiction, les autorités du Niger ont formulé à l’endroit de leurs homologues béninois une demande en faveur de leurs bouviers afin qu’ils puissent descendre au Bénin au titre de la campagne de transhumance 2020. Cette demande a été acceptée par le Bénin sous certaines conditions : la durée de la transhumance est limitée à deux mois du 1er mars au 31 avril ; 50 000 têtes de bovins seulement sont autorisées à entrer au Bénin, et ce par trois portes ouvertes à Malanville et à Kari Maman, frontalière du Niger ; les troupeaux doivent être conduits par des pasteurs âgés d’au moins 18 ans, à qui il est interdit de consommer des stupéfiants et d’utiliser des armes de guerre. D’autres dispositions portent sur les soins vétérinaires à apporter aux animaux, sur l’alimentation du bétail, sur les portes d’entrée et sur les axes de transhumance. Reste que cet accord exceptionnel octroyé au Niger n’a pu s’appliquer en raison de la pandémie de Covid-19 et de la fermeture des frontières qui s’en est suivie.

Une politique de sédentarisation

Mais le gouvernement béninois ne s’est pas arrêté là. Après les mesures d’interdiction de traverser son espace faite aux bouviers étrangers, le pays a pris d’autres mesures visant à sédentariser les éleveurs. Ainsi, un haut-commissariat à la sédentarisation des éleveurs a été institué en juin 2021 et un haut-commissaire a été nommé deux semaines plus tard en conseil des ministres. Les missions confiées à cet organe attaché à la présidence de la République sont, entre autres, de contribuer à la modernisation des systèmes d’élevage, de définir la mise en œuvre de la politique de sédentarisation des éleveurs en vue de leur épanouissement dans un environnement sécurisé et apaisé et de coordonner les actions des autorités publiques dans le domaine de l’élevage.

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