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Ursula Kohnen, chef du programme Acma à Cotonou

Quand une Hollandaise tisse des liens commerciaux entre le Bénin et le Nigeria

Publié le 02/09/2016 - 11:54
Ursula Kohnen, chef du programme Acma : « Ce programme vise l’amélioration de la sécurité alimentaire et l’accroissement des revenus agricoles à travers une meilleure commercialisation transfrontalière ». Photo : G. C. Roko

Cette fille de paysans néerlandais explique comment elle veut faire du programme Approche communale pour le marché agricole (Acma) un trait d’union commercial entre des communes béninoises et nigérianes.

 

Démarré en décembre 2013 pour quatre ans, le programme Approche communale pour le marché agricole (Acma) est financé par l’ambassade des Pays-Bas au Bénin dans le cadre de la sécurité alimentaire. Ce projet pilote a été mis en œuvre par un consortium dirigé par International Fertilizer Development Center (IFDC) avec l’Institut royal des tropiques (KIT), CARE International-Bénin/Togo, Sahel Capital Partners & Advisory Ltd et Benin Consulting Group International (BeCG).

Acma est financée à hauteur de 6,5 milliards de FCFA. 40 % du budget est destiné aux infrastructures marchandes pour « accroître le commerce ». Trois départements – le Zou, au centre, l’Ouémé et le Plateau au sud-est – et 22 communes sont concernés.

Pourquoi trois régions du Bénin uniquement sont concernées par votre projet ?

Ursula Kohnen : Trois raisons justifient ces choix. La rareté de projets similaires, leur forte potentialité agricole et leur proximité avec le Nigeria. Acma est, en effet, axée sur le marché agricole, particulièrement celui du Nigeria. Ici, l’hypothèse de base est que, une fois la question de marché réglée, l’augmentation de la production devrait suivre. Ce programme vise l’amélioration de la sécurité alimentaire et l’accroissement des revenus agricoles à travers une meilleure commercialisation transfrontalière.

Comme les trois départements ciblés sont limitrophes du Nigeria (150 millions de consommateurs), nous nous sommes appliqués à identifier leurs besoins en produits agricoles. Nous travaillons également sur les mécanismes d’accès à ce grand marché. C’est à ce titre que sept filières prioritaires ont été retenues : l’huile de palme et les noix palmistes, le maïs, le gari, le poisson frais et séché, le piment, l’arachide, le soja. L’objectif est d’impacter 40 % de femmes parmi les producteurs, transformateurs et commerçants.

Quels sont les défis que vous avez déjà relevés ?

U. K. : La stratégie du programme repose sur l’offre, la demande et l’approche communale. Pour structurer l’offre, nous avons institué des pôles d’entreprises agricoles (PEA) par filière pour permettre des échanges, notamment sur la commercialisation des produits. 41 pôles d’entreprises sont déjà établis dans les filières précitées. Une estimation des volumes à commercialiser a été faite. En ce qui concerne la demande, nous avons une équipe basée à Lagos qui sillonne les marchés nigérians et identifie des acheteurs potentiels de nos produits. Des facilitations commerciales sont organisées à travers des missions et des appuis à la contractualisation.

Nous avons aussi mis en place un fonds de garantie pour l’octroi de crédits aux acteurs des PEA. Acma a particulièrement développé le warrantage.

C’est-à-dire ?

U. K. : Le warrantage est un crédit agricole à court terme (1 à 6 mois), garanti par un stock de produits agricoles conservables et pouvant augmenter de valeur. Le stock est entreposé et pris en gage dans un magasin sécurisé, en attendant d’être commercialisé à un meilleur prix. Nous avons testé le warrantage de l’huile de palme qui, habituellement, n’est pas pris en compte par cette pratique. Les résultats sont positifs. À ce jour, plus de 400 millions de FCFA de crédits ont été octroyés à 467 acteurs directs. De même, plus de 2 600 tonnes de produits ont été commercialisés pour une valeur de plus 950 millions de FCFA.

Négociation commerciale entre une acheteuse nigériane et des vendeurs béninois. Photo : C. Roko

 

Que faites-vous pour améliorer les infrastructures ?

U. K. : D’importants efforts sont consentis pour la mise en place d’infrastructures marchandes afin de stocker de grands volumes de produits pour répondre au marché nigérian. Le choix des infrastructures fait l’objet d’échanges stratégiques avec les élus locaux et les maires. Ces échanges portent sur l’amélioration du commerce avec le Nigeria. Lors des débats, on note un réel engagement des autorités communales. Elles offrent gracieusement les domaines et contribuent à hauteur de 5 % à la subvention d’Acma pour les infrastructures. Plusieurs projets sont en cours d’exécution. Le magasin de stockage de 1 000 tonnes de maïs à Ifangni (120 millions de FCFA) est quasiment terminé ; les réfections des parcs à maïs de Kétu et de Pobè sont en cours…

Quelles sont vos principales difficultés ?

U. K. : La plus grande difficulté, c’est l’atomisation de l’offre, conséquence de l’inorganisation des acteurs. Les producteurs et les transformateurs vendent de façon individuelle. Ils n’opèrent pas de ventes groupées. Le marché est, par ailleurs, jonché de nombreux intermédiaires. Ceci ne favorise pas la mutualisation de la vente et fragilise les revenus des producteurs. Au Nigeria par exemple, nous avons rencontré de grandes compagnies qui transforment 1 000 tonnes d’huile de palme par jour. Lorsque nous arrivons sur un tel marché, avec 30 tonnes d’huile de palme de plus ou moins bonne qualité, nous ne pouvons pas négocier de prix concurrentiels, d’autant que nos coûts logistiques (transports, douanes…) sont très élevés. D’où l’importance d’installer des infrastructures le long de la frontière. Ceci conforte notre stratégie de regrouper les producteurs pour une mise en marché collective.

Il y a aussi le commerce informel…

U. K. : Effectivement. Nous avons aussi constaté qu’il est très difficile de faire du commerce transfrontalier avec le Nigeria de façon formelle. Par exemple, alors qu’on devait vendre 30 tonnes d’huile de palme à une importante compagnie nigériane, on s’est aperçu que les papiers d’accès à la certification, les formalités douanières, le transport, les tracasseries routières et autres, coûtaient au vendeur 25 % de son revenu. Cette situation n’encourage pas les acteurs à se lancer dans le commerce formel, et encore moins pour les petits volumes. De même, au Nigeria, il est difficile de traverser la frontière et de passer d’une commune à l’autre. Par exemple, lors d’un chargement de noix palmiste à Atan, à 80 km d’Ifangni, nous avons compté 32 postes de police sur le parcours…

Qu’en est-il des règlements ?

U. K. : Une autre difficulté de taille concerne, en effet, les transferts de fonds. Transférer des fonds du Nigeria sur un compte au Bénin est impossible actuellement. L’acheteur doit d’abord solliciter une autorisation à la banque centrale du Nigeria. Cette situation rend le commerce transfrontalier laborieux. Elle augmente l’insécurité aux frontières, car tout se paie en argent liquide.

Enfin, le naira, la monnaie d’échange au Nigeria, est très instable. Fluctuant beaucoup, elle rend les produits béninois non compétitifs. En réalité, tout est lié. Le marché nigérian fixe le prix en fonction de données internationales. C’est de la macroéconomie qui a un impact sur la microéconomie.

Quelles sont vos perspectives ?

U. K. : C’est d’abord d’accroître l’offre via l’organisation des producteurs dans une stratégie de mise en marché collective. Il s’agira ensuite de mettre davantage en contact vendeurs et acheteurs identifiés. Exemple, le CCIC du Plateau-Ouémé, qui regroupe 11 communes, a pris l’initiative de se lier aux localités frontalières du Nigeria. Pour cela, il propose que des maires et des représentants des PEA visitent les autorités locales du Nigeria pour sonder leur intérêt et faciliter le commerce transfrontalier.

Vous ne parlez pas d’éventuelles corruptions.

U. K. : Tout le monde connaît l’histoire récente du Bénin et les financements des Pays-Bas. La transparence sera au cœur de toutes nos actions et aucune marge d’erreur ne sera tolérée. C’est plus de deux milliards de FCFA qui seront octroyés en subventions aux communes…

 

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