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Algérie

La pomme de terre dans tous ses états

Publié le 17/06/2019 - 12:26
 Il y aurait plus de 100 000 ha de pommes de terre aujourd’hui en Algérie, comme ici à Bouira. Photo : M. Naïli.

Affichant des résultats techniques satisfaisants – rendement et qualité – la pomme de terre algérienne souffre du manque d’organisation de sa filière. Résultat : des surproductions passagères et des fluctuations de prix.

 

Selon des bilans récents du ministère algérien de l’Agriculture et du Développement rural, la production de la pomme de terre avoisine annuellement les 50 millions de quintaux (Mq), pour une valeur financière de près de 250 millions de dinars. Avec ce niveau de production et des rendements oscillant entre 200 et 250 q/ha, la production de la pomme de terre a quasiment quadruplé depuis le lancement des premiers plans de soutien à l’agriculture au début des années 2000.

Éviter la flambée des prix

Par type de culture, la production de saison est prédominante avec une moyenne de plus de 27 Mq/an, suivie de la production d’arrière-saison, dite aussi période de soudure, avec un volume annuel de 20 Mq et, enfin, la primeur avec moins de 3 Mq/an.

Pour assurer l’équilibre du marché, la production d’arrière-saison représente un enjeu majeur pour les pouvoirs publics algériens. En effet, selon les experts de l’Institut de la protection des végétaux, cette pomme de terre d’arrière-saison « couvre la période de soudure qui se situe généralement entre fin février et avril. Elle permet d’approvisionner le marché local en évitant les situations de rareté induisant fréquemment la flambée des prix de ce produit à large consommation ».

Selon le même ministère, la répartition de la production par zone géographique donne en tête la wilaya d’El Oued, dans le Sahara (900 km au sud d’Alger) avec un volume annuel qui dépasse les 12 Mq, suivie de la wilaya d’Ain-Defla avec près de 7 Mq et Mostaganem avec plus de 4 Mq annuels.

Afin de consolider ses résultats à long terme et tel qu’il ressort de la feuille de route tracée par le ministère, les pouvoirs publics misent sur l’organisation de la filière en amont, notamment au niveau des semences. À cet égard, pour une meilleure adaptation des cultures aux conditions climatiques locales, le triage des semences est considéré par les producteurs et spécialistes de la filière comme une opération « essentielle ». L’objectif est de « planter des tubercules sains ». Cette pratique représente un « gage de garantie pour une saison culturale réussie ». Cette opération consiste essentiellement à éliminer les tubercules touchés par les parasites, comme le mildiou, ainsi que ceux présentant différentes formes de galles ou de pourritures. Le traitement de la semence est également fortement encouragé, au point de devenir obligatoire pour les établissements de production de semences. Cependant, il existe sur le marché algérien des produits spécifiques pour le traitement de semence.

Les prix sont soumis à des fluctuations aiguës

En assurant une autosuffisance depuis plus de 10 ans – les dernières importations remontent à 2006-2007 –, la pomme de terre est l’une des rares filières agricoles algérienne à enregistrer des résultats probants au niveau de la production. Néanmoins, la filière souffre de carences importantes en aval et ce, malgré des rendements qui laissent apparaître parfois des situations de surproduction. 

Le marché local est caractérisé par de fortes perturbations qui mettent en péril les producteurs. Faute de mécanismes de régulation adaptés et d’une chaîne de commercialisation permettant d’assurer l’équilibre du marché, les prix de la pomme de terre sur le marché sont soumis à des fluctuations aiguës, contraignant parfois les producteurs à céder leurs productions à perte. L’été dernier, le prix de la pomme de terre est passé de presque 100 dinars/kg à moins de 30 dinars/kg en l’espace de trois mois. Faute de moyens logistiques pour le stockage des surplus de production, les producteurs sont contraints d’écouler la totalité de leur récolte, parfois au détriment de leurs intérêts.

 

 

Sofiane Benadjila, ingénieur agronome et consultant
Sofiane Benadjila, ingénieur agronome et consultant
« Les producteurs de pommes de terre deviennent des agriculteurs itinérants »

Connaissant bien les potentialités et les vulnérabilités de la filière, Sofiane Benadjila, spécialiste des itinéraires culturaux, revient sur les enjeux qui entourent la production du légume le plus consommé en Algérie.

L’Algérie n’a pas importé de pommes de terre de consommation depuis plus de 10 ans. Et, contrairement à d’autres productions, la filière connaît des rendements plutôt satisfaisants.
Quel est le potentiel réel de l’Algérie en la matière ?
Sofiane Benadjila 
: On serait tenté de penser que la croissance de la production de pommes de terre est liée à celle des rendements. Mais en fait l’augmentation de la production est plus corrélée à l’augmentation des surfaces cultivées. Ce n’est pas un hasard si la pomme de terre est devenue la deuxième culture en termes de surfaces, après les céréales.
Les rendements sont restés généralement entre 150 et 260 q/ha, selon FAOstat (le service des statistiques de la FAO), pour une moyenne mondiale de l’ordre de 400 q/ha. En revanche les surfaces ont été multipliées, dépassant actuellement les 100 000 ha. Sans tenir compte du taux d’occupation des sols (plusieurs cultures par an) qui lui aussi est un facteur démultipliant. De plus, aucun indicateur sur le terrain ne permet de croire à une amélioration dans la maîtrise des processus de production, gestion de la fertilité des sols, lutte contre le mildiou, choix de semences adaptées… À noter que l’Afrique du Sud, avec un climat similaire, produit le double sur à peine la moitié de la surface.

La filière connaît des flambées et des chutes de prix malgré les mécanismes de régulation mis en place. Les pouvoirs publics ont-ils échoué dans l’organisation et l’intégration de la filière ?
S. B. 
: C’est ce que l’on peut constater en effet. Une gestion de la filière est difficilement concevable sans données réelles et précises. En gros, on doit savoir ce que l’on a produit, en quantité et en qualité, où, quand et par qui. Il faut aussi pouvoir prévoir ce qui va être produit. Cela veut dire qu’il faut être capable d’établir un Plan national d’assolement annuel. Or, on sait que le monde agricole algérien est plongé dans l’informel. L’opacité qui entoure les chiffres est donc logique.

Pouvez-vous développer ?
S. B. 
: Il faut tenir compte du fait que la plupart des producteurs ne sont pas propriétaires. Ils travaillent dans un cadre d’instabilité qui les amène à être des agriculteurs itinérants et intermittents parfois insaisissables. La précarité de leur statut en fait des interlocuteurs difficiles à identifier. Par ailleurs, quand on voit des techniciens des services agricoles, utilisant leurs propres moyens (véhicule), pour collecter des données, on est amené à constater qu’il n’y a pas de volonté politique. La seule fenêtre de relative visibilité concerne un nombre limité d’agriculteurs qui bénéficient de subsides.

Qu’en est-il des semences et quelles sont les variétés de pomme de terre les plus adaptées aux conditions locales ?
S. B. 
: Le savoir actuel nous empêche d’imaginer l’éventualité d’une ou deux variétés adaptables à tout l’espace agricole algérien. Ce n’est pas pour rien que les paysans indiens cultivaient 200 000 variétés de riz, modelées selon la diversité des terroirs. Visiblement, les pouvoirs publics ont opté pour deux variétés (Spunta et Désirée). C’est une réduction du potentiel génétique qui affaiblit le cultivar, menant à artificialiser la culture par une masse importante d’intrants (engrais, pesticides, etc.). Mais, chose que l’on connaît de façon empirique depuis la Seconde Guerre mondiale, les semences récoltées en Algérie, sur des altitudes supérieures à 800 ou 900 mètres, donnent des résultats supérieurs à ceux obtenus avec des tubercules d’importation. Cela est confirmé depuis quelques années par les découvertes en génétique et l’hérédité des caractères acquis. Ceci sous-entend que l’on ne peut pas parler d’une ou deux semences « idéales », mais d’un tissu de production de semences ancrée dans des sites ciblés qui alimenterait en permanence les zones de production. Or, pour l’instant, on ne voit rien de palpable apparaître dans ce domaine.

Des régions du sud, comme El Oued, connaissent de bonnes productions de pommes de terre malgré l’aridité du climat. Cette réussite s’explique-t-elle par l’usage excessif de pesticides et autres produits de traitement phytosanitaire comme le laissent entendre certaines voix ?
S. B. 
: En disant « malgré l’aridité du climat » on souligne déjà que c’est une culture en décalage avec l’environnement bioclimatique. Indépendamment de ça, dans cette région, les sols à dominance sablonneuse sont naturellement des sols à faible potentiel agricole. Le sable étant sur le plan géologique une roche et sur le plan biologique un substrat inerte. Pour ces raisons, ce type d’agriculture ne peut être soutenu que par des quantités importantes d’intrants à l’image des cultures hors sol.

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